« Prie ton Père qui est dans le secret ; ton père qui voit dans le secret te le rendra »
Je me souviens. Après cinquante jours de marche peut-être, Saint-Jacques-de-Compostelle n’était plus qu’à cent ou deux cents kilomètres : l’affaire d’une dernière semaine. J’étais devenu un pèlerin au long cours. J’avais largement étanché ma soif d’aventure, ma soif d’émerveillement, ma soif de solitude et de rencontres, jusqu’à ma soif de raconter mon périple… Je me souviens comme, au premier regard, je pouvais reconnaître, au milieu des pèlerins d’un jour, ceux qui comme moi venaient de loin. Taiseux, discrets, les vêtements fatigués, économes de leurs mouvements, ramassés sur l’essentiel, au milieu d’un troupeau chaque jour grossissant et chaque jour un peu plus excité, fluorescent.
Nous n’étions probablement pas les plus enjoués ni les plus bruyants de la cohorte : l’exaltation des premiers jours était passée, le temps avait fait son œuvre et porté du fruit.
Il me revient le visage d’un homme, d’un semblable, avec qui je n’ai échangé que quelques minutes parce qu’en quelques minutes, trois mots et un regard, il m’avait tout dit : il avait pardonné. Dans le brouhaha de l’albergue, ces quelques mots ont résonné plus fort que tous les enthousiasmes alentour de ceux qui avaient fait ce jour-là leurs premiers pas sur le Camino.
Cet homme était plein d’une joyeuse et silencieuse gratitude.
La joie véritable est souvent discrète, parfois secrète. Elle touche à l’intime. Elle se partage avec qui peut la percevoir. Le battement d’un cœur ne s’entend que dans le silence et l’étincelle ne s’aperçoit que dans l’obscurité.